Av Huysmans 198 : classement d’un immeuble moderniste de Montois et Courtois (1952)

A la demande d’Ixelles, le Gouvernement de la Région de Bruxelles-capitale vient de classer l’immeuble situé avenue Armand Huysmans 198. Dessiné en 1952 par le duo d’architectes Henri Montois et Robert Courtois, il s’agit d’un des tout premiers immeubles à appartements du quartier Boondael. Henri Montois y résida avec sa famille.

On retiendra en particulier :

  • l’agencement étonnant des appartements (3 duplex emboités sur 4 niveaux, genre Tetris)
  • la porte de garage en bois à poulie et ses hublots
  • les châssis en métal pivotants sur un axe central
  • les escaliers en colimaçon
  • les cheminées
  • l’aménagement de la zone de recul, typique des années 50
  • la terrasse
  • le hall d’entrée

Cet immeuble de Henri Montois et Robert Courtois relève du style moderniste. Tant la façade que le plan répondent à une volonté d’aller à l’essentiel, de rationaliser l’espace au maximum sans se perdre dans le décoratif. Un accent décoratif est toutefois mis sur quelques éléments : l’escalier en colimaçon et la cheminée. Ce sont la sobriété et le rationalisme de ces éléments qui leur confèrent une élégance décorative.

L’astucieux plan permettant d’imbriquer trois confortables appartements en duplex, séparant espace des parents/réception et espace des enfants, est particulièrement remarquable.

L’immeuble a été conçu pour Henri Montois et des membres de sa famille. A travers les plans on voit une volonté de vivre ensemble mais chacun chez soi. Deux types d’aménagement intérieur se côtoient également : d’une part les appartements plus modernes avec living ouvert et escalier en colimaçon et d’autre part, un appartement plus classique, avec la salle à manger séparée du salon et un escalier classique. Cela répond probablement aux goûts des propriétaires. (extrait analyse des Monuments et Sites)

La façade composée d’une alternance de châssis métalliques pivotant sur un axe vertical et leurs allèges en aluminium présente un grand intérêt, tout comme la large porte de garage percée de fenêtres en hublots.

2021-2023 : le chemin du classement

Cet immeuble fait partie d’une demande globale de sauvegarde de 3 bâtiments modernistes introduite par la Commune d’Ixelles en mai 2021.

Après une première analyse par la Direction Patrimoine Culturel d’Urban.brussels et un avis favorable de la Commission Royale des Monuments et des Sites, le Gouvernement a décidé de suivre Ixelles en ouvrant la procédure de classement en mars 2022. A partir de ce moment, tous actes et travaux relatifs au bien étaient contraints comme si l’immeuble était déjà classé. Enfin, après une analyse fine par des experts, la CRMS a conseillé au Gouvernement de classer définitivement l’immeuble. C’est chose faite depuis ce 26 janvier 2023.

Extraits de l’Arrêté de classement (annexe)

Description

L’immeuble à appartements de style moderniste sis avenue Armand Huysmans 198 à Ixelles a été conçu en 1952 par les architectes Henri Montois et Robert Courtois. Un des appartements était destiné à Henri Montois et sa famille ; les deux autres à M. et Mme Gravener. La façade en béton est haute de six niveaux, le dernier, traité en attique, est devancé d’une grande terrasse. Les étages sont percés de fenêtres en bandeau à châssis métalliques, particulièrement remarquables, pivotant sur un axe vertical décentré, soulignés d’allèges en aluminium. Le tout est repris dans un cadre en béton saillant. Le rez-de-chaussée est flanqué de deux piliers engagés en diagonale. Celui de gauche accueille les trois boîtes aux lettres. A gauche, porte d’entrée vitrée, flanquée à droite de la signature « H. Montois – Architecte ». A droite, large porte de garage percée de cinq «hublots». L’immeuble est devancé d’une zone de recul revêtue de dalles de pierre naturelle en opus incertum.

Le sous-sol abrite des caves et la chaufferie. Le rez-de-chaussée est occupé par les garages et services communs (d’après les plans : buanderie, vide-ordures, entrepôt à vélos). Le hall d’entrée dessert un ascenseur et la cage d’escalier. Trois appartements en duplex occupent chacun un niveau et demi : un niveau de 120 m² est destiné aux pièces de vie communes et à la chambre parentale ; un demi-niveau de 60 m² est consacré aux enfants. Les livings sont tous en façade (orientation ouest). Les trois appartements sont astucieusement imbriqués les uns dans les autres afin de maximiser les quatre étages (+ un demi-étage en retrait) autorisés par la commune d’Ixelles.

Les premier et quatrième étages sont identiques. L’appartement s’ouvre sur un hall desservant vers la façade un grand living par une double porte métallique vitrée ; un office et sa cuisine ; et, vers l’arrière, un vestiaire, un w.c., la chambre parentale et sa salle de bain. Dans ce hall se trouve également un escalier en colimaçon compact mais néanmoins confortable. Il est composé de marches métalliques toutes identiques, emboitées sur l’axe de l’escalier.

Le deuxième étage est composé de deux demi-appartements, parties de l’habitation destinées aux chambres d’enfants. A l’origine ni la cage d’escalier ni l’ascenseur ne desservent cet étage. Actuellement, une arrivée par l’ascenseur a été prévue pour les propriétaires du premier appartement. A cet étage, vers la façade, se trouve un petit hall où débouche l’escalier en colimaçon. Ce hall dessert une salle de bain, un w.c. et trois chambres. Vers l’arrière, sans communication avec les pièces de l’avant, se trouvent également trois chambres, un w.c. et une salle de bain.

Au troisième étage, niveau principal du deuxième appartement, un hall d’entrée dessert vers la façade un grand salon et une salle à manger séparés par une cloison. On accède également à une cuisine et son office ainsi qu’à une chambre parentale, sa salle de bain et un w.c. Un escalier classique en U, à côté de la chambre, permet d’accéder aux chambres du niveau inférieur.

Le quatrième étage est donc identique au premier.

Le cinquième étage est un demi-étage (attique) desservi par l’escalier en colimaçon. Il abrite vers l’arrière trois chambres, un w.c. et une salle de bain. Il s’ouvre vers l’avant par une double porte vitrée sur une grande terrasse comprenant une cheminée. La terrasse est également accessible via la cage d’escalier commune.

L’avenue Huysmans, musée du modernisme ?

L’avenue Armand Huysmans se situe au cœur du quartier de Boondael à Ixelles. Ce quartier est le dernier à être urbanisé à Ixelles. Un plan général pour l’urbanisation de l’ancien hameau est étudié dès la fin du XIXe siècle mais sa version finale et définitive date de 1937. Le tracé de certains anciens chemins est conservé et de nouvelles voies sont créées. L’avenue Armand Huysmans est ouverte dès le début des années 1930 puis prolongée en 1937. Si quelques maisons sont construites dès les années 1930, c’est surtout durant les années 1950 que l’urbanisation de l’avenue prend son envol. L’urbanisation du quartier de Boondael est essentiellement axée sur le logement. Après la Seconde Guerre mondiale ce sont principalement des immeubles à appartements et maisons bel-étage qui y sont construits. Il s’agit d’une architecture en général peu originale et répétitive. Néanmoins, l’avenue Armand Huysmans y fait figure d’exception en affichant plusieurs immeubles de grande qualité : le n° 198 des architectes Henri Montois et Robert Courtois, qui nous concerne ici mais également le n° 196 (maison Rombaut-Deplus, architectes André Jacqmain et Jules Wabbes, 1959), le n° 172 (Résidence Clarté, architecte Jacques Van Maldergem, 1956) et le n° 179 (architectes Henri Montois et Robert Courtois, 1955).

Les architectes

L’architecte Henri Montois est né à Tournai en 1920 et décédé en 2009. Il est le fils du sculpteur tournaisien Charles Montois, qui enseignait et vivait avec sa famille au sein de l’école Saint-Luc à Tournai. Henri grandit donc dans cette école et y suit ensuite sa formation d’architecte. Après son diplôme, il est stagiaire à Bruxelles auprès de Jean-Jules Eggericx puis Yvan Blomme. Il s’associe ensuite avec Robert Courtois avec qui il débute sa carrière (entre 1947 et 1959). Ensemble, ils réalisent leurs premiers projets qui s’inspirent de la tradition moderniste de l’entre-deux-guerres. H. Montois poursuit ensuite sa carrière en solo et fonde en 1980 le Bureau d’architecture Henri Montois, toujours existant aujourd’hui, sous le nom de Montois Partners Architects.

En partenariat avec Robert Courtois, il réalise des maisons unifamiliales (notamment la Maison De Witte avenue ten Horen 13 à Uccle en 1955-1957), de petits immeubles à appartements (celui-ci, avenue Armand Huysmans 198 à Ixelles en 1952, mais aussi, en 1955, le numéro 179 de la même avenue), l’usine 3 Suisses à Tournai (1957), un magasin 3 Suisses à Ixelles, le pavillon des Transports terrestres de l’Expo 58. Le pavillon est couronné du prix Reynolds, décerné par l’American Institute of Architects. Cette reconnaissance internationale pour leur travail commun marque la fin de leur collaboration.

Dans la deuxième partie de sa carrière, à partir de 1960, Henri Montois réalise des immeubles en hauteur (le Botanic Building, 1965 ; l’hôtel Hilton, 1963-1967 ; la Blue Tower , 1976), et de grands ensembles (facultés de Médecine (1971) et des Sciences (1974-1976) de l’ULB), mais aussi des infrastructures hospitalières (faculté de Médecine de l’UCL et hôpital Saint-Luc en 1967-1976 ; centre hospitalier de la Citadelle de Liège en 1978).

Durant les deux premières périodes de sa carrière, Henri Montois évolue d’un style moderniste épuré au rationalisme. La dernière période, correspondant à la fondation du Bureau d’Architecture Henri Montois, affiche, elle, le style post-moderniste.

L’immeuble sis avenue Armand Huysmans 198 à Ixelles est donc représentatif du début de la carrière d’Henri Montois, en partenariat avec Robert Courtois.

« C’est dans les années cinquante, période où se mêlent l’étude, la recherche et l’urgence de reconstruire un nouveau monde, que cet architecte définit les bases de sa démarche, une ligne de conduite qui implique la nécessité d’assurer un projet dans sa totalité, de la conception à la réception, et qui revendique une rigueur excluant tout décor superflu » (Henri Montois. Architecture, 1998, p.9).

L’architecte Robert Courtois est né en France à Saint-Quentin en 1922 et décédé en 2011. Comme Henri Montois, il suit sa formation d’architecte à Saint-Luc à Tournai. Puis il poursuit ses études à La Cambre auprès de Victor Bourgeois. Il enseigne ensuite à Saint-Luc à Tournai et débute sa carrière par sa collaboration avec Henri Montois. Robert Courtois s’associe par la suite avec d’autres architectes et crée l’AUA (l’Atelier d’Urbanisme et d’Architecture) en 1965. Il a également été président de la Scab et de la Sbuam et rédacteur en chef de la revue A+. Ses réalisations relèvent pour la plupart d’un style moderniste dépouillé et rationnel mais également du brutalisme.

Sources :

Archives de la commune d’Ixelles : ACI/Urb. 24-198.

Inventaire du patrimoine immobilier 

«Immeuble à 3 appartements, avenue A. Huysmans, 198, Ixelles, Architectes: Henri Montois, Robert Courtois», Architecture, 11-12, 1954, pp. 419, 504-505.

La Maison, octobre 1956, pp.306-308.

SAUSSEZ Laura, Robert Courtois 1922-2011, mémoire, Faculté d’Architecture ULB-La Cambre-Horta, Bruxelles, 2000, pp.42-43.

BINDER Georges, Montois Partners : Selected and Current Works, Mulgrave, Images Publishing Group, 2001.

Henri Montois. Architecture, Bruxelles, Henri Montois, 1998.

VAN LOO Ann, Dictionnaire de l’architecture en Belgique de 1830 à nos jours, Anvers, Fonds Mercator, 2003.

photos façade (c) Yves Rouyet

photo châssis pivotants (c) Heritage.brussels

coupe (c) La Maison, novembre 1956

Publicité

Votre commentaire

Entrez vos coordonnées ci-dessous ou cliquez sur une icône pour vous connecter:

Logo WordPress.com

Vous commentez à l’aide de votre compte WordPress.com. Déconnexion /  Changer )

Photo Facebook

Vous commentez à l’aide de votre compte Facebook. Déconnexion /  Changer )

Connexion à %s

Créez un site Web ou un blog gratuitement sur WordPress.com.

Retour en haut ↑

%d blogueurs aiment cette page :